Huit à l’infini (2001)

Pour octuor de violoncelles et orchestre
2(1Picc.).2(1CA).2.2./2.1.1.0./2Perc./Cordes (20’)
Percussion : vibraphone, marimba, crotales, cloches-tubes, timbales, cymbale suspendue médium, 2 tam-tams (grave, médium).
Commande de la Ville de Beauvais, de la DRAC et de l’Orchestre de Picardie

A Jacques Bernaert

Création le 11/5/02 à Beauvais (concert de clôture des Xèmes Rencontres d’Ensembles de Violoncelles) par L’Octuor de Violoncelles et l’Orchestre de Picardie, direction Edmon Colomer

Éditions Jobert

CD LI 05 – 0201 L’Octuor de Violoncelles et l’Orchestre Philharmonique de Nice, direction Daniel Kawka

Chacun sait que « huit » est universellement le nombre de l’équilibre cosmique. C’est le nombre des directions cardinales auquel s’ajoute celui des directions intermédiaires, le nombre de la rose des vents. C’est aussi le nombre possible des rayons de la roue. C’est également celui des pétales de lotus. « Le nombre huit est également le chiffre que l’on rencontre – souvent – dans les plus anciens textes sacrés comme synonyme du multiple. Par exemple, le Japon, depuis une époque très reculée, est dénommée par ses habitants Grand-Huit-Iles, pour dire qu’il est constitué d’une quantité innombrable d’îles. Mais le huit n’est pas l’innombrable indéfini et dispersé. C’est l’innombrable constituant une entité qui s’exprime par le huit. Ce huit, qui lorsqu’il est couché, représente le signe mathématique de … l’infini » médite Dominique Lemaître.

Suite à la collaboration fructueuse entre le compositeur et L’Octuor de Violoncelles pour la création de Circé (1998, pour soprano et huit violoncelles), ce « concerto », dédié à Jacques Bernaert, pour octuor de violoncelles et orchestre – sans doute le premier du genre – se préoccupe de la symbolique du chiffre 8 très chère à Giacinto Scelsi ( compositeur italien auquel Dominique Lemaître a rendu hommage en écrivant La Ghirlandata ). L’œuvre considère ce graphe numérique verticalement et horizontalement. Dans sa position verticale, ce 8 – figure parfaite de l’équilibre cosmique – revêt les habits de médiateur entre le cercle et le carré ou entre la terre et le ciel. Dans sa présentation couchée, il signifie le signe mathématique de l’infini. A n’en point douter, à travers ces différents prismes interprétatifs, le choix du 8 désire montrer un goût prononcé pour l’entité multiple ou pour la pluralité homogène.

Cernant une image matricielle d’un flux sinueux et non contondant, ces lacets en boucle vont donner l’occasion de multiplier à souhait les charmes lyriques du « concertino » : de la fierté du soliste entre les solistes ( le premier violoncelle ) à l’homogénéité de l’octuor solidaire, de l’unisson de forte densité à l’octologos intégralement divisé, de la présentation sous forme de quatre duos ou de deux quatuors à des configurations symétriques intégrant jeu de miroir, pratique du canon à 8 entrées ou fuseau d’harmoniques généralisés … Le « tutti » ( général ou partiel ) dont le rôle principal est d’accuser la dramaturgie se distingue par des injonctions plus incisives : groupes-fusées aux tons clairs, guirlandes ou jeux de vagues répétitifs, volées de carillons, zones pertinentes de résonance, d’irisation ou de scintillement forment l’apanage sans cesse renouvelé de Huit à l’infini.

Pour le site internet dédié à Dominique Lemaître, Nathalie Dumesnil ajoute que l’écriture de Huit à l’infini est le fruit d’une longue réflexion, résultant de trois facteurs combinés : « l’intérêt que Dominique Lemaître porte au violoncelle, son travail récent autour de la forme concertante et enfin, la rencontre avec Jacques Bernaert et L’Octuor de Violoncelles de Beauvais qui susciteront la naissance d’un projet peu commun : un concerto pour huit violoncelles et orchestre.

Très attiré par la forme concertante depuis 1995 (rappelons notamment Altius pour violoncelle et 16 instruments, créée par Anne Gastinel et l’Ensemble Orchestral Contemporain, sous la direction de Daniel Kawka, reprise et enregistrée ensuite par Gary Hoffman), Lemaître ne la conçoit pas comme « une opposition entre le soliste et l’orchestre mais tente, par un échange d’énergies, la fusion entre les deux. Le soliste devient alors une sorte de “voix supérieure” prolongée par un orchestre “résonateur” qui sait aussi se montrer éloquent ». Dominique Lemaître s’intéresse aux mythes, aux éléments … mais aussi aux chiffres et aux nombres, notamment ceux de la suite de Fibonacci, issue du Nombre d’or : 1, 2, 3, 5, 8, 13, 21… ; il utilise d’ailleurs fréquemment cette série de nombres pour élaborer des structures rythmiques ou sélectionner des hauteurs.

Mais ici le nombre 8 joue un rôle fondamentalement fédérateur : parmi les huit symboles de longue vie des bouddhistes, l’un d’entre eux – le nœud infini – s’enroule et referme sur lui-même… ce huit, qui lorsqu’il est couché, signifie le signe mathématique de l’infini.

Imposé par l’octuor, ce concept – du huit – va donc devenir synonyme de démultiplication, de prolifération … jusqu’à l’infini ; Lemaître a ainsi conçu plusieurs mises en forme de démultiplication du rôle « soliste » et développé différentes facettes que lui offrait cette formation : unisson dense ou huit entités démultipliées ou complémentaires, jeu de miroir (en canon), quatre duos ou deux quatuors, hiérarchie entre les violoncelles imposant le premier tel « un super-soliste au sein des solistes »… L’écriture de Huit à l’infini pourrait s’apparenter au courant post-spectral des années 1990 ; mais, c’est la recherche d’une forme personnelle de lyrisme qui caractérise particulièrement les récents opus de Dominique Lemaître.

Dans Huit à l’infini, moments intenses et périodes de transition s’enchaînent subtilement et naturellement comme une grande respiration. Comme le mouvement de la houle, le régime déroulant de cette œuvre semble découler sui generis. Grâce à la fluidité du matériau agencé tout en rondeur (et donc exempt de heurts), l’œuvre s’auto-génère, alimentée par une sorte de divinité à huit bras ou d’hydre à huit têtes, à la fois maître et esclave, svelte et nonchalant, éloquent et réceptif, éclaireur et révélateur, ornemental et essentiel, d’aubes et de zénith ».

Pierre Albert Castanet